Courte nouvelle
Aimée. On n’avait jamais aussi mal porté un prénom.
Son père était parti avant qu’elle ne pointe le bout de son nez, laissant seule Teresa, sa mère, le ventre rond et le désespoir en collier. Jamais remise du départ de son grand amour, qui, reconnaissons-le, manquait cruellement de morale et de courage, elle n’avait eu de cesse, toute son enfance de reprocher à Aimée le départ de son père. Enfant discrète, docile et malléable, Aimée acceptait son sort puisque c’était le seul qu’elle connaissait. Elle grandit bon gré mal gré, un peu de travers, sans l’amour de sa mère. (Ni celui de son père courant d’air.) Cette dernière reconnaissait en ses traits ceux de son déserteur d’amant et ne put jamais se résoudre à donner un peu de tendresse à son enfant. Elle n’avait aucun égard pour elle, juste du ressentiment. Teresa la tenait pour responsable de ses maux : « tu as gâché ma vie » lui répétait-elle chaque jour.
Aimée était une enfant triste qui ne verrait jamais briller dans l’œil de sa mère ni affection ni fierté. Elle porterait pour toujours les stigmates de cette enfance cabossée, ne se sentant jamais à sa place, de trop, ou pas assez.
Un jour sa mère, qui s’enivrait bon train du matin jusqu’au soir, rencontra un camion qui venait juste en face. Elle mourut sur le coup laissant Aimée orpheline. Mais n’était-elle pas déjà seule depuis toujours? Elle fut recueillie par Edmond Delavallée, son grand-père maternel dont elle n’avait jamais fait la connaissance. C’était un vieil acariâtre qui s’était opposé à l’union de sa fille Teresa avec ce saltimbanque de pacotille (le père d’Aimée était funambule dans un cirque). « Moi vivant, jamais ma fille ne s’unira avec ce va-nu-pieds ». Teresa, forte tête et passionnée, claqua la porte de la maison de maître un matin d’octobre et revint y frapper quelques mois plus tard, seule, le regard bas et le nombril en avant. Le père Delavallée, loin d’être un homme de coeur mais pour sûr, un homme de parole, la renvoya sans rien. « Tu as fait ton choix » lui dit-il sèchement. Livrée à elle-même, elle accoucha en août d’une petite fille bien frêle. Elle l’appela Aimée, symboliquement, en souvenir de son amour déçu, mais ne parvint jamais à lui pardonner son malheur. Elle trouva un emploi dans un bistrot de quartier, enchaîna les services et les heures pour joindre les deux bouts. Aimée ne manqua de rien, ni d’éducation ni de soin, si ce n’est d’amour vrai. Sa mère n’était au fond pas si mauvaise juste très malheureuse et plus capable d’aimer. Surtout pas Aimée. Elle subissait sa maternité, la vivait comme un supplice, un fardeau responsable de son chagrin et de sa solitude. Comme si tout son amour avait disparu avec le funambule, dont Aimée ne sut jamais rien et qu’elle ne rencontra point. La mère se laissa doucement sombrer jusqu’à l’accident fatal qui obligea l’enfant à aller vivre chez son aïeul.
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