Mini nouvelle
Les jumeaux étaient rentrés au petit matin, complètement ivres. Encore. Félice avait entendu Bruno dire à Benoît de ne pas pisser dans le massif de roses, l’autre hilare avait répondu « t’as bien gerbé dans les thuyas ». Ils avaient claqué la porte d’entrée et escaladé, de guingois l’imaginait-elle, l’escalier en chêne qui avait grincé ne réveillant personne, sauf elle qui attendait l’heure. La veille au soir, elle avait préparé le dîner. Un gigot. Parce que c’est ce qu’il avait demandé. De son ton péremptoire « Ce soir Félice, tu me feras ton succulent gigot! » qui n’appelait aucune réponse si ce n’est « oui chéri, bien entendu ». Félice n’aimait pas le gigot. Elle n’aimait pas non plus son mari.
Sa belle-mère Marie-Michelle et son époux Edouard s’étaient invités sans crier gare sous prétexte de voir les enfants (qui n’en étaient plus, qui n’étaient jamais là et qui se fichaient bien de la visite de leurs grands-parents) et de prendre soin d’Émile, leur fils. Son mari. Le père de ses enfants. Surmené par un travail oppressant, pas suffisamment soutenu par une épouse qu’elle considérait comme distante. Elle avait passé le pas de la porte en soupirant « quelle idée d’habiter si loin… cette lubie que vous avez Félice de vouloir vous extraire de la ville ». Félice n’y était pourtant pas pour grand chose, elle avait juste émis le souhait d’un peu de verdure. Émile avait choisi ce pavillon sans la consulter voilà deux décennies. Elle n’aimait ni son exposition, ni son jardin enclavé. L’intérieur était froid et voyait fanfaronner les trophées de chasse de son mari. Tête de sanglier et autre chevreuil, qu’elle exécrait. Edouard, son beau-père, fidèle à lui-même, tirait sur son cigare, empestant la maison, et profitait du grand salon les pieds sur la table basse.
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