C’était une douce illusion.

Poème

Les_mots _sons
2 min ⋅ 12/01/2025

Peut-être me faudrait-il enfin ouvrir les yeux. Faire le constat, même douloureux, que je n’ai jamais fait partie de l’équation de ta vie. Peut-être me faudrait-il à présent reconnaître que tu ne m’as pas laissé monter à bord. Douce illusion qui m’a bercée de ses bras mortifères. Que j’ai cru longtemps ramer à tes côtés, dans une même direction, prenant le relais de tes efforts insuffisants, battant le vent, contrant le courant. J’ai cru jouer ce rôle. Celui de mener le navire lorsque tu t’essoufflais, me reposant à l’abri de ton courage quand je pliais, battue. J’ai cru contempler les massifs assise face à tes yeux clairs, scruter les ciels d’été sous la coupe de tes éphélides espiègles. J’ai cru compter comme on tient place de soleil dans un horizon plombé, être quantité essentielle aux jours que tu griffonnais sur le calendrier. J’ai cru à l’évidence de ta main dans la mienne, à la symbiose du rythme que l’on suivait, j’ai cru être celle qui pouvait poser un voile de dentelle sur tes griffes mordorées, le kintsugi qui calmerait l’ardeur de tes plaies. J’ai cru tout ce temps, les mains en sang, paumes crevassées, le cœur au garde à vous, braver la vie et ses coups bas, installée à l’ombre de ton rire en éclats. Mais tu étais sur la berge. Tu n’es jamais monté dans la barque qui devait nous emmener au-delà des mots. Tu n’as jamais saisi les rames, défié les vents violents qui nous mettaient à mort. Tu étais assis au bord de l’eau et tu me regardais faire. À deux pas du bateau qui n’attendait que toi. Tu n’avais pour projet que d’avancer solo. L’ambition dévorante de voguer sans mon âme. Laissant mon âtre froid. Tu m’as regardée m’en aller sans jamais me retenir, attisant la brise pour qu’elle m’amène au loin. Loin de ton sillon où tu te rêvais seul. Loin de tes bras frêles qui ne pouvaient pas lutter pour deux contre les eaux furieuses. Tu m’as observée partir, un sourire au bord des lèvres. Je t’avais dit ma belle ma fragile envergure. Tu y as cru pour nous. Je savais ma faiblesse quand tu me voyais grand. Tu as toujours été bien plus immense que moi. 

Va. Vogue. Voyage. Et n’oublie pas. 

...

Les_mots _sons

Par Raphaëlle Mara

Raphaëlle Mara, je suis professeur de Lettres dans le secondaire depuis une quinzaine d’années. J’ai publié un premier roman, Amaisadís, aux éditions Ozril, en octobre 2022. Passionnée de littérature, je suis une grande lectrice. Je lis, partout, tout le temps. Et quand je ne lis pas, j’écris.

J’écris des romans, des textes courts, des essais, de la poésie. Je m’inspire de ce qui m’anime, de ce qui m’entoure, des émotions qui m’assaillent et m’étreignent. Écrire est l’occasion pour moi de chercher à répondre aux questions qui me bousculent, de m’interroger sur les sujets qui me touchent.

L’écriture commence, à mon sens, par ce quelque chose qui titille, une espèce de gêne au fond du ventre qui pousse à mettre des mots, pour tenter d’expliquer, de comprendre, de dénoncer. L’écriture, pour devenir plus. Et aussi pour être aimée.