Courte nouvelle
Elle est entrée dans le troquet et je n’ai plus vu qu’elle. J’étais assis dans le fond, près du chauffage parce que j’ai toujours froid, caché sous la capuche de mon sweat gris foncé. Je me perdais dans les lignes d’un roman, harassé par le bruit et par la fureur qui fait le monde alentour. Ce monde qui va toujours trop vite et qui me vide et me lamine. Qu’on me laisse en paix. Par pitié.
Elle s’est installée à bonne distance. Je crois qu’elle ne cherchait rien. Surtout pas l’attention de qui que ce soit. Surtout pas la mienne. Elle a sorti un petit carnet et elle s’est mise à griffonner. Elle en avait des choses à dire. Des choses à écrire. J’imaginais la poésie dans chacun de ses traits, dans toutes ses lettres bancales, dans tous ses mots volants dont elle couvrait le papier. Elle a commandé un verre de vin. Du blanc. Elle n’arrêtait pas de remonter sur son nez ses lourdes lunettes qui glissaient. Elle a fini son verre, arraché les quelques pages noircies et les a roulées en boule. Je finissais ma bière, sans soif. Écorché d’une existence qui me griffe. En permanence. Elle portait à ses lèvres son stylo qui laissait au coin de sa bouche un peu d’encre violette. Elle s’est levée, a replacé une mèche derrière son oreille à laquelle pendait une grosse boucle argentée. Elle a jeté ses feuillets au fond de la corbeille près de la porte d’entrée et elle a disparu dans les rues grises de cette ville immense. Elle a quitté ce bar comme elle était entrée. Sans chercher à se faire remarquer. Me laissant en apnée.
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